Photos et lettres des Philippines, de France et d'ailleurs

Photos et lettres  des Philippines, de France  et d'ailleurs

Lettre 3 : L'ami Pierre

C'était fin mai 2007 et j'étais dans le bus qui me ramenait de Cebu à Dumaguete.

La veille j'avais dîné avec Patrick et Jean et nous avions parlé de Pierre. Patrick était un de ses amis de longue date et Jean lui empruntait régulièrement des livres français. Quant à moi, en deux mois je n'avais pas encore pris le temps de rendre visite à ce vieux grincheux.

Patrick me dit qu'après tout ce qu'il avait vécu et son état de santé, il ne fallait pas tenir compte de ses sautes d'humeur. Je décidais donc d'aller le voir dans les prochains jours.

Je somnolais dans le bus quand mon téléphone se mit à sonner. Je venais de recevoir un message laconique de Jacques, un ami Suisse, disant ceci « Pauvre Pierre ! Que vont devenir ses livres ? » Il est vrai que Jacques lui empruntait et lui confiait aussi beaucoup de livres.

Je répondis que je ne comprenais rien à son message et il m'informa que Pierre était décédé dans la nuit. Pendant le reste du trajet d'autres messages venus d'autres personnes complétèrent l'information.

Son corps reposait dans un funérarium et dés mon retour je m'y rendis pour lui rendre un dernier hommage. Il allait avoir 64 ans en décembre et souffrait d'arthrose et de rhumatismes qui rendaient sa mobilité difficile mais on ne savait rien d'autre des causes de sa mort si ce n'est qu'elle était due à une hémorragie.

Pierre était arrivé de Cebu avec sa compagne trois ans plus tôt et vivait à Bacong à 8 km au sud de Dumaguete. C'est d'abord Charly qui me l'avait présenté et je le revis assez souvent au cours de repas et autres événements sociaux auxquels il se rendait souvent à contre cœur préférant ses livres et sa tranquillité. C'est au cours de ces rencontres que j'appris de son histoire ce qu'il voulut bien confier.

(en partant de la droite, L'ami de Pierre Patrick, Pierre, Charly, un autre Patrick et Remy)

Pierre était né dans une famille bourgeoise et grandit en Bretagne où ses parents s'étaient installés et très tôt fut attiré par la mer. Après sa scolarité, ce fut une école de la marine marchande où il obtint son brevet d'officier mécanicien.

Il s'ensuivit une longue carrière bourrée d'anecdotes. La plus cocasse étant, pour moi, celle de son escale de Hambourg. Il faut dire que la chaleur de la salle des machines avait fait de Pierre un éternel assoiffé, et pas forcément d'eau. Donc en Allemagne, il alla se désaltérer dans le célèbre quartier de Sankt Pauli. Plus tard, un peu fatigué, il prit un raccourci pour rejoindre son bâtiment et traversa des voies ferrées où le wagon ouvert d'un train de marchandises l'attendait pour piquer un petit somme. Son sommeil fut bon car il fut réveillé par des miliciens à la frontière de l'URSS alors qu'il était sans papiers et sans argent.

C'était Pierre et des histoires comme celle là il en avait en abondance.

C'est à la fin des années 60 qu'il fit escale pour la première fois à Manille où il revint régulièrement.

Il y rencontra par la suite, dans un bar, celle qui allait devenir sa femme pour le meilleur et pour le pire mais en l'occurrence surtout pour le pire. Elle avait déjà un enfant qu'il adopta.

Elle était originaire de Cebu aussi acheta-t-il un terrain à Mactan, là où Magellan fut tué par le chef de guerre Lapu Lapu. Il y fit ensuite construire leur maison et tout aurait pu être pour le mieux dans le meilleur des mondes.  Cependant au cours d'une escale inopinée dans le port de Cebu il voulut faire une surprise à sa femme et lui rendit visite sans prévenir et  la trouva au lit avec un Hollandais.

L'infidèle ne se troubla guère et lui demanda ce qu'il faisait là. Outré, il se rua vers eux mais elle l'arrêta d'une phrase en lui disant « sors de ma maison, tu n'es pas chez toi ! »

C'était vrai et encore aujourd'hui seul un citoyen philippin peut acheter un terrain aussi la plupart des étrangers acquièrent terrains et maisons au nom de leur épouse, enfants ou autre associé et nombreux furent ceux qui perdirent tout. Depuis longtemps il est question que la loi change mais rien n'est encore fait. Enfin de nos jours c'est déjà mieux car l'époux est censé récupérer 49 % du bien si son nom figure sut le titre de propriété.

Bref Pierre dépensa une petite fortune en frais de justice et avocats mais perdit sa maison. Il ne gagna que  procès en adultère et une séparation qui se terminera plus tard par une annulation de mariage, le divorce n'existant toujours pas aux Philippines.

Ce fut son premier gros choc psychologique et comme un malheur ne vient jamais seul le second coup arriva rapidement. Il eut à vivre un licenciement économique qui le mit à la retraite anticipée ajoutant ainsi à son désarroi.

Le temps passa, il rencontra sa nouvelle compagne mais resta marqué par ses malheurs passés qu'il narrait à qui voulait l'entendre. Il vint s'installer près de Dumaguete non loin de Remy à qui plus tard je dédierai aussi une lettre. Ses ennuis de santé aggravèrent sa misanthropie et certains d'entre nous se firent parfois engueuler en voulant l'inviter. Par contre, il restait généreux et recevait volontiers des visites pour peu que sa sieste ne soit pas perturbée, il prêtait aussi ses nombreux livres français à la petite communauté francophone. Il n'avait pas non plus remis les pieds en France depuis plus de vingt ans, disant qu'il n'avait plus rien à y faire et plus personne à voir. On verra plus loin qu'il y avait quand même encore un frère.

(Pierre au premier plan à gauche)

Son premier mariage annulé, il avait entamé les démarches pour épouser sa nouvelle compagne. Le mariage aurait du avoir lieu en juillet 2007.

Dés sa mort, d'emblée se posèrent les questions matérielles auxquelles nous avions déjà été confrontés lors du décès de Remy moins d'un an auparavant. Qui allait payer les funérailles car sa copine n'avait évidemment pas le sous ? De plus il y avait un problème encore plus urgent. L'hôpital privé où il avait été transporté en urgence, si dans sa grande mansuétude avait bien voulu délivrer le corps, refusait de fournir le certificat de décès tant que la facture ne serait pas payée. On demanda à la compagne si elle avait le code de sa carte de crédit et elle nous dit que non. On essaya avec sa 'veuve' d'encaisser les 800 € de son livret d'épargne mais en vain. Le représentant local du Consulat de France intervint auprès de l'ambassade pour qu'ils nous aident mais à l'accoutumé, ils ne prirent à leur compte que la partie état civil rétorquant que le consulat n'était pas une banque.

Deux personnes prirent alors les choses en main alors que nous avions commencé à nous cotiser pour qu'il soit enterré dignement. Ce fut Patrick son copain de Cebu qui contacta son frère en France pour les questions financières et Charly sur place qui prit en charge toutes le démarches auprès des pompes funèbres, du prêtre et du cimetière pour lui trouver un emplacement décent. 

Le frère accepta de payer tous les frais et envoya immédiatement de l'argent pour s'acquitter de la facture de l'hôpital et obtenir le certificat de décès indispensable à l'inhumation. Argent que Patrick avança. Notre contribution, vite remboursée, ne servit donc qu'aux funérailles et à aider sa 'veuve'. Quant à l'argent donné à la concubine, on verra  comment il nous resta en travers du gosier.

La bénédiction fut rapide et à la hauteur du peu d'argent investi. Quant au cimetière, ce fut grand-guignolesque. En effet l'ex femme avait fait le voyage avec son fils, seul héritier, et rivalisait de larmes avec l'ex compagne. Le grotesque atteint son comble quand, elle qui l'avait spolié et était responsable de ses malheurs, se précipita en hurlant sa douleur sur le cercueil. Il faut sans doute ajouter que l'argent bloqué sur le livret d'épargne n'était sans doute pas pour rien dans sa venue et à sa peine.

La triste histoire de Pierre aurait pu se terminer là mais Patrick nous apprit par la suite, alerté par le frangin, que sa copine qui avait prétendu ne pas avoir le code de la carte bancaire, avait en fait retiré le jour de la mort de son futur époux environ 1500 € ce qui aurait permis d'avancer les frais sans nous mentir d'une manière aussi éhontée. Certes son Pierre parti, non mariée et donc sans pension de reversions, elle restait dénuée de tout après quatorze ans de vie commune et avait fait en sorte de se prémunir un peu.

Pauvre Pierre, il ne les aimait que peu attirantes, voleuses et infidèles car la rumeur disait que la dernière aussi ? …. 



27/07/2007
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