Photos et lettres des Philippines, de France et d'ailleurs

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L'île de Negros, boîte à sucre des Philippines

Cela fait presque huit ans que j’ai commencé ce blog et si j’arrive encore à y publier de nouvelles photos, j’avoue que sur le plan éditorial j’ai beaucoup plus de mal à trouver de nouveaux sujets sans être redondant après tant d’années passées au même endroit aussi vais-je essayer ici de vous parler ci-dessous de la richesse de Negros qu’est la canne à sucre.

Mercredi 8 avril vers 21h30, je venais de me coucher avec un bon livre policier quand soudain le courant fut coupé. Rien d’anormal ici encore que maintenant c’est de plus en plus rare. J’attendis une heure pour voir si la lumière revenait mais je dus me rendre à l’évidence alors que privé de climatisation, je commençais à transpirer dans mon lit. Je me levais, sortis et en compagnie de mes deux chiens et j’allai près de la grille d’entrée mettre mon générateur en route. Je me réveillai ensuite toutes les heures voir si le courant était revenu mais à 6h il n’y avait toujours rien. Je préparai mon petit-déjeuner puis j’allai éteindre le générateur pour le laisser refroidir.

Dès son arrivée vers 7h30 mon jardinier m’expliqua l’origine de la panne électrique.

La veille un camion transportant de la canne à sucre avait dans une ligne droite de la route nationale, télescopé et détruit un poteau électrique privant ainsi toute la population environnante d’énergie. Ce n’est pas étonnant lorsque l’on voit l’état de ces camions souvent des surplus américains et japonais utilisés que quelques mois par an, mal entretenus et souvent conduits par des chauffeurs inexpérimentés voire sans permis.

Ce n’est que vers 14h le 9 avril que tout rentra enfin dans l’ordre.

 

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(Un des nombreux camions sillonnant les routes de Negros de novembre à avril)

 

J’avais envie depuis un certain temps envie d’écrire quelque  chose sur la canne à sucre et cet incident m’incita à commencer un petit reportage illustré de photos sur le sujet.

Les Philippines sont le neuvième producteur mondial de canne à sucre et le deuxième en Asie du Sud derrière la Thaïlande. L’île de Negros d’une superficie de 12 706 km2 (une fois et demi la Corse) demeure le plus gros producteur du pays, avec 450.000 hectares plantés, soit plus de la moitié de la superficie arable de l'île et emploie 300 000 personnes.

La canne à sucre était déjà présente aux Philippines lorsque l’explorateur Fernand de Magellan découvrit l’archipel en 1521. Sans doute fut-elle importée des Célèbes par les navigateurs arabes à Mindanao puis ensuite au Nord dans l’archipel des Visayas.

Ce n’est pourtant que vers 1850 que l’industrie sucrière prit son essor avec un accroissement de la demande mondiale. Le sol et la topographie de l’île de Negros conviennent particulièrement bien à cette culture et la plupart des terres cultivables y est alors convertie. Pendant plus d'un siècle, Negros devient le sucrier des Philippines, permettant à quelques familles de faire fortune, mais laissant la majorité de la population avec juste le strict minimum pour survivre.

Ce relatif équilibre dura tant que les prix du sucre de canne demeurèrent suffisamment stables sur les marchés internationaux. Mais en 1985, les cours s'effondrèrent à un point tel que récolter la canne ne valait même plus la peine.  Avec son système de monoculture, Negros se retrouva au pied du mur. S’ensuivit alors une grave période de misère durant laquelle nombre de petites sucreries disparurent tandis que près d'un quart de million de travailleurs saisonniers se retrouvèrent au chômage forcé, sans source de subsistance alternative.

Puis la réforme agraire du 10 juin 1988 redistribua aux métayers et ouvriers agricoles des terres payables en 15 ans et rachetées aux propriétaires public et privés possédant plus de 7 hectares. Hélas beaucoup de ces terres furent reprises par un moyen ou un autre aux tous nouveaux propriétaires par les anciens, barons du sucre régnant à partir de leurs haciendas sur des propriétés immenses. Ces hacienderos d’origine espagnole et nonobstant quelques métissages se considèrent toujours comme de purs Castillans et continuent à parler espagnol.

Sur Negros, on trouve surtout de petites et moyennes exploitations mais aussi de grands domaines. 75% des fermes ont une taille inférieure à 5 hectares, 11% de 5 à 10 hectares, 11% de 10 à 50, 2% de 50 à 100 et 1% au-delà. Cependant les fermes de plus de 50 hectares occupent 34 % des terres cultivables.

C’est aussi sur Negros que se trouvent 13 des distilleries sur les 29 que comportent les Philippines.

 

Sur la route de San Carlos à Murcia 008.jpg

(Une hacienda de Negros Occidental))

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(une maison (kubo) d'ouvriers agricoles)

 

Le pays se veut autosuffisant en sucre et n’exporte pas ou peu ne voulant plus être dépendant des aléas des cours mondiaux et transformant ses excédents en bioéthanol. En effet depuis la loi de 2006 sur les biocarburants, l’industrie de la canne à sucre a trouvé un nouvel essor grâce à l’éthanol extrait de sa mélasse et depuis 2011 tous les carburants vendus aux Philippines doivent en contenir au moins 10%.

Je me souviens de mon premier tour de Negros en voiture en 2008, année de la pénurie de riz mondiale qui est l’alimentation de base des Philippins. J’étais alors surpris de voir que de nombreux champs de canne à sucre se transformaient en rizières. Quand le sol le permet, ces deux cultures demandent à peu près la même quantité d’eau et la permutation est aisée.

 

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(un champ de canne à sucre près du volcan Kanlaon)

 

Aujourd’hui la canne à sucre a repris tous ses droits et la mi-avril correspond à la fin de la saison. Elle se récolte en effet de novembre à avril. Un même plant de canne peur donner jusqu’à trois fois et il lui faut environ dix mois pour arriver à maturité.

 

Montagne de Pamplona à Santa Catalina 028.1. (1).jpg

Canlaon à Bayawan 005 (1).jpg

(La canne à sucre pousse)

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(Puis de novembre à avril vient le temps des récoltes avec 'l'aide' des enfants)

Siaton à Basay 031.jpg

NegrOc. De Canlaon à Isabella travaux des champs 036.jpg

(Le transport de la canne jusqu'aux camions)

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Siaton à Basay 033.jpg

(Tous les ouvriers portent des manches longues pour éviter les coupures)

Vieille locomotive pour la canne à sucre 006.jpg.b&w.2.jpg

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(Quelques vieux trains à vapeur acheminent encore la canne à sucre vers les raffineries)

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(La raffinerie de sucre Tanjay)

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(La raffinerie de bioéthanol de Bais, il y est interdit de prendre des photos)

 

Après la troisième moisson, les champs sont brûlés pour éliminer les déchets végétaux et autres pestes.

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Vient ensuite le moment des labours avec un carabao ou un tracteur..

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Puis les nouvelles pousses sont semées.

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Et enfin copieusement et régulièrement arrosées.

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Maintenant nous allons entrer dans la période d’avril à septembre appelée ici tiempo muerto pour saison morte, c’est le temps qui s’écoule entre plantation et récolte et où il n’y a plus de travail dans les champs.

Pour les dumaan, travailleurs permanents et les sacada, travailleurs saisonniers, et leurs familles vient le temps des vaches maigres, une situation qu’ils endurent depuis des générations  et qu’ils appellent tinggulutom, le temps de la faim.

Il y a environ 300 000 travailleurs de la canne à sucre sur l’île de Negros subvenant aux besoins de presque 2 millions de personnes.

En moyenne un ouvrier de la canne à sucre gagne 3€ par jour, la moitié du salaire minimum, tandis qu’un ouvrier saisonnier gagne à peine 2€. Les ouvriers agricoles permanents vivent grâce aux avances accordées par leurs patrons et déductibles des salaires de la prochaine saison tandis que les saisonniers migrent vers les villes pour tenter d’y trouver un travail temporaire et survivre.

Ayons une petite pensée pour eux lorsque nous dégustons nos sucreries ou bien encore faisons le plein de notre véhicule ici aux Philippines. Quant à moi, à part le sucre brun pour mon café, j’y pense en dégustant un autre sous produit de canne, qu’est le rhum. Je recommande le 'Don papa', un peu cher mais sublime.



14/04/2015
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